dimanche 26 février 2012

Brèves de divan 3 : Vraiment, ce type agace!


Je suis attablé dans ma cantine favorite avec mon ami Laurent, en train de préparer notre réunion du lendemain. Tout est bien posé pour que ce moment de travail, détente et réflexion se déroule paisiblement.

Tout est bien posé, et pourtant…

Je montrais à Laurent un schéma quand je le surpris les yeux ailleurs. Au même moment, il retourne sa tête et d’un mouvement m’invite à observer ce qui détournait son attention à la table à coté : un « type » avec deux personnes qui, à cette heure, cet endroit, semblent être des collègues.

A priori, rien d’anormal si ce n’est ce bruit qui m’agaçait, mais que j’essayais d’évacuer : un espèce de tam-tam alimenté par le gigotement frénétique de sa jambe gauche.

Il a l’air normal, socialement correct au vu des critères habituels. Laurent me dit : « T’as vu, c’est bizarre ce tremblement… Tu crois qu’il fait exprès ? » Ma réponse immédiate fût : « Oui bien sûr ! ».

Mais en y regardant de plus près, il s’agit d’une attitude et d’un fonctionnement plus complexes.

À la première lecture il semblerait qu’il exprime ainsi son agacement, vraisemblablement à ses partenaires de table. La question de Laurent  a du sens, je n’ai d’ailleurs jamais douté de ses réflexions. Par rapport à ce « type » (je le dénomme ainsi c’est plus pratique), qu’est-ce qui est conscient, ou non?

Ce type de comportement m’a souvent interrogé et je remercie Laurent de m’avoir interpellé sur ce sujet. Pour moi, cela résonne avec tic (tics transitoires), toc (troubles obsessionnels du comportement), dystonie, hystérie et bêtise.

Je vais repréciser ce qui relève de la dystonie.

C’est un ensemble de maladies caractérisées par des contractions musculaires excessives et involontaires, pouvant entrainer des mouvements involontaires. La dystonie relève de la neurologie. Identifier  la cause de la dystonie pour la plupart des cas est complexe. Maintenant, il est avéré que certains peuvent en connaître l'origine, une psychanalyse est alors complètement adaptée.

Je suis très prudent à ce sujet quand il s’agit de troubles neurologiques. La psychanalyse peut accompagner, mais je pense qu’au delà du traitement médical qui doit à tout prix être maintenu, il faut escorter pour soulager les symptômes.

Actuellement, les données scientifiques suggèrent que les mouvements dystoniques anormaux sont la conséquence d'un dysfonctionnement du cerveau. Aussi, la portabilité de la psychanalyse doit être pour le thérapeute comprise comme étant très limitée. Ainsi, il faut expliquer à l’analysant que notre réussite quant à la guérison serait un leurre, que pour ma part je m’interdis à pratiquer.

Tics, tocs, syndrome de Gilles de la Tourette

Les tics sont des mouvements brefs ou des sons. Ce qui les caractérise par rapport aux autres mouvements, c’est qu’ils sont inconstamment présents, se surévaluant aux activités motrices, fonctionnelles, psychiques habituelles.

Les tocs se différencient des tics par leur rémanence, leur présence constante. Alors que les tics sont souvent déclenchés par un environnement bien évidemment anxiogène, les tocs sont malheureusement « autonomes ». Il n’y a pas besoin que mon éxotype m’agresse pour qu’ils se déclenchent.

Alors dans le cas de ce type de quoi s’agit-il ?

J’ai pour ma part une lecture plus simple dans laquelle les tics, tocs, le syndrome de Gilles de la Tourette et la dystonie n’ont pas leur place.

Ces mouvements seraient simplement l’expression d’une incapacité à dire, à communiquer. Cela se transporterait donc sur et par le corps. Cela ne vous parle pas, il s’agit bien de l’hystérie!

Et oui, notre quidam, à la table à coté, pense jouer, en montrant son agacement, sa place, son rôle.

Mais il ne le fait pas, il en est incapable. Alors il gigote, il gigote, encore et encore! Certains gigoteurs considèrent cela comme une marque de fabrique, pensant que dès qu’ils agitent ce genou ou cette main l’autre incrédule va savoir combien il est en désaccord. Et si en plus il est un chef hiérarchique! Vous imaginez la non-communication et surtout les dégâts!
  
Alors que pouvons-nous dire? J’en ai croisé à plusieurs reprises des TQA (type qui agace). La question est de savoir jusqu’où il s’agit d’un choix, à partir de quoi et comment ces personnes mesurent et maitrisent ce gigotement. Vous l’avez compris, pour moi, ici, il ne s’agit pas de dystonie mais bien d’un syndrome commun.

Cela revient à dire tout simplement que ce TQA est bien conscient de ce comportement, et même si vous l’interrogez pour lui demander ce que cela signifie, il peut aller soit: à l’ignorer et le feindre soit à le justifier, émettant par des mots simples : « Ce n’est qu’un énervement ! »

C’est effectivement une porte de lecture, l’énervement, l’agacement. Cet état justifierait et expliquerait cette violence à notre égard ? Et bien oui, et malheureusement nous sommes bien dans ce contexte, face à de l’hystérisation. Pour ces TQA, le langage est insuffisant pour exprimer par le fond ou la forme. Le mécontentement, le mal-être présent à ce moment. C’est donc une bouffée « abréactive » corporelle qui s’en empare, déchargeant ainsi le sujet de la tension qu’il ressent.



Ne nous y trompons pas: il s’agit ici et n’en déplaise à notre TQA, d’un cas manifeste d’hystérie, au sens que la psychanalyse a toujours défini et continue à le faire, à la différence du DSM IV (manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux "bible de la psychiatrie"). A savoir qu’il s’agit d’une classe de névroses où les conflits psychiques viennent se symboliser dans les symptômes corporels. Et nous sommes même dans ce cas, confrontés à une hystérie de conversion telle que Freud a pu la décrire, dans l’analyse du petit Hans, à savoir la conversion seule sur un symptôme corporel, physique qui peut être détaché de toute forme d’angoisse et de phobie.

En l’occurrence pour ce TQA, incapable de résoudre par la parole une situation vécue, le corps par cette attitude involontaire/volontaire l’exprime. Pourquoi volontaire ? Nous ne sommes jamais aussi bien que dans nos névroses. Par exemple, le timide peut justifier celle-ci par une grande humanité qui lui fait dire: "Je ne mets jamais en avant, je préfère valoriser mes collaborateurs." Mais non mon garçon tu es timide !

Vous voyez ; mais cela j’en traiterai plus loin que l’on peut, conscient de sa névrose aller jusqu’à la justifier comme un choix.

Conscient donc pour revenir à notre TQA, car celui, lucide  par moment de cet étrange comportement qu’il organise, et, peut-être ou même vraisemblablement fier des résultats sur l’autre, met  en place ce gigotement frénétique, de façon consciente , assuré qu’il est de l’effet escompté !

Dans tous les cas, notre TQA est l’objet d’une perte de contrôle de soi, d’une non-maitrise de la personnalité!

Alors quoi faire? Simplement prendre conscience que ce phénomène existe et que parfois nous pouvons valoriser est nuisible. Si c’est le comportement d’un proche lui remarquer, lui expliquer que ce comportement est ridicule pour tout œil aguerri et que cet agacement, énervement peut trouver une résolution en faisant du sport, par de la décontraction ou en allant fréquenter un bon psychanalyste!


« On devient moral dès qu’on est malheureux ! » Marcel Proust, À la recherche du temps perdu




dimanche 5 février 2012

Je ne sais pas dire "Non".



Encore une fois, combien de fois avons nous dit cela:

« Je ne sais pas dire non. »

Est ce une qualité ou un défaut ?

Pour l’enfant capricieux qui obtient de son parent ce qu’il souhaite, c’est, au premier jet, une qualité, mais en fouillant un peu plus qu’en est-il vraiment ?

Il ne s’agit pas ici de traiter d’un grand père qui au travers de ses petits enfants rattrape sciemment le temps perdu , ni d’un parent divorcé profitant de ces rares instants ne sait comment faire pour occuper une place dans le cœur de l’enfant cher. Ceux là savent qu’il dépassent, vont outre l’autorisé tolérable, mais ont-ils le choix de d’autres stratégies ?

Mais moi je parle de comportements handicapants, névrotiques, voire plus : ceux qui ne peuvent rien refuser, qu’il s’agisse d’une demande, d’un projet, d’une tâche à exécuter, d’une relation avec l’autre qui nous l’impose, et cela consciemment ou non .

À minima, ce fonctionnement relève d’une image dépréciée du Moi , d’une  incapacité à fixer les limites entre ce que je permets et autorise et ce que l’autre m’impose, d’ailleurs souvent sans le savoir, sauf dans certains cas, mais qui là relèvent de la maltraitance.

Cela relève de l’insuffisance d’un Moi soumis au dictat d’un ça (le « faire plaisir à l’autre ») et d’un Surmoi coercitif (qui oblige l’enfant en nous à obéir sur le champ). Pour certains, cette forme de fonctionnement leur semble être le seul moyen d’être en paix. C’est une illusion, ce n’est même pas une trêve, c’est une guerre permanente.

Ce type de fonctionnement, comme le mensonge, maintient la personne en dehors de la réalité, mais surtout en dehors de soi.

Ce qui est sûr, c’est que de tels comportements relèvent de l’enfant et non de l’adulte.

Au niveau psychanalytique, cela signifie que le Moi n’est pas suffisamment structuré pour être définie dans son identité. Ces pathologies, aussi surprenant que cela laisse apparaître, présentent des fixations possibles à pratiquement tous ces stades. Pour certains, il s’agit du stade oral: satisfaire par l’incorporation-projection le désir de l’autre en moi. Pour d’autres au stade anal : le moyen, par l’argent notamment, ou dans une attitude de soumission, là encore, celui de répondre au désir sadomasochiste de l’autre. Et puis enfin, certains fixés au stade phallique partiront dans des désirs de glorioles, qui, en acceptant ce que dit l’autre penseront être la toute puissance qui résout le désir en l’autre.

Ce qui est le plus inquiétant, c’est que ce comportement qui reflète la faiblesse d’un Moi non suffisamment structuré, alors que celui qui est coincé dans ce mode opératoire pense au contraire non seulement être pleinement dans la réalité mais en même temps approuver la reconnaissance que cette activité doit assurer.

C’est donc là que repose la problématique: rester l’enfant obéissant. Celui qui n’arrive pas à grandir. Rester dans la posture infantile, car nous ne pouvons nous imposer face à l’autre en posant les limites de ce que mon Moi peut accepter. Il n’y a pas de d’indépendance. Même si parfois ces comportements sont conscientisés, souvent le psychisme par des travers pervers va les justifier par des banalités. « J’ai grand cœur, si je peux donner, il ne faut pas hésiter ! »

Il faut remonter tôt dans l’organisation de la vie psychique de l’enfant. Nous pouvons repérer vers environ deux ou trois ans cette disposition. C’est un âge complexe car pour revenir à la théorie des stades, c’est le moment ou le stade phallique se superpose au stade anal, sachant que les résistances orales, notamment d’incorporation, sont toujours présentes. À cet âge doit s’organiser l’indépendance et l’autonomie de l’enfant, il sent confusément qu’il n’est plus assimilé dans la mère matrice universelle, il a pris conscience que le couple parental existait notamment à travers cet autre étranger qu’est le Père et au moment ou le stade phallique émerge proposant le fameux complexe d’Œdipe, qui permet à l’identité naissante de se présenter à la première personne JE, « je suis », « je pense », « je veux ».

Corrélativement à cette volonté de toute puissance s’oppose la peur de l’abandon. Si le Je devient trop puissant, la réaction ou la non réaction de l’autre va scénariser des comportements qui vont devenir les fameux modèles effecteurs dans lesquels nous restons souvent empêtrés.  Mais en résonnance, l’enfant comprend que sa désobéissance peut être associé à une perte d’amour (s’il la perçoit comme définitive, la mélancolie s’installe avec toutes ces pathologies) mais aussi comme une perte d’existence. Ne pas être aimé revient à ne plus exister puisque l’autre parental ne me voit plus. C’est donc profondément anxiogène que de développer cette velléité d’être au monde réel.

Il existe une solution: celle qui consiste à se placer dans une posture de soumission à ses parents, mais cela veut dire être éternellement obéissant. Si ce modèle effecteur se renforce, il y a de forts risques qu’adulte, nous restions coincé dans cette posture infantile ou le « non », dire « non » , être simplement l’autorité est un tabou absolument incontournable .

Engoncé dans cette posture, imaginer être face à une crise est impossible. Le désaccord avec d’autres peut même apparaître vital au sens de l’impossibilité de continuer à être .

In fine, la peur inconsciente du conflit l’emportant, je dis toujours « oui » .


Cela  renvoie paradoxalement au souci inconscient de «satisfaire un sentiment intérieur de toute-puissance». La personne a une faible estime d’elle-même mais, au niveau inconscient, n’a pas renoncé à la toute-puissance.

Mais cela ne vous rappelle pas un petit personnage fort sympathique de notre enfance Monsieur « Oui-Oui».
Ce héros omnipotent qui ne demande  qu’à  prendre en charge toujours plus pour prouver aux autres – et à lui-même – qu’il peut tout assumer. C’est l’ami sollicité de toute part, toujours disponible et présent pour chacun. Il pense que ce « Oui » donné en permanence est le signe d’une reconnaissance de grandes qualités humaines, cela le flatte car c’est l’apparence de l’irremplaçabilité.

Alors faut il toujours dire « non » ?

La vie est un complexe jeu d’adaptation où en permanence fond et forme se mélangent, que j’ai tort ou raison, il faut que notre Moi sache à tout moment imaginer la posture la meilleure pour moi, en harmonie avec les autres.


« Mieux vaut allumer une bougie que de maudire les ténèbres.» Lao-Tseu