La
jalousie
C’est un sujet qui m’a été demandé à
plusieurs reprises; passionnant, courant, connu, plus ou moins compris, mais dans
tous les cas extrêmement complexe. Je dissocie dès le départ de cet exposé la
jalousie de la notion d’envie que je développerai ultérieurement.
Je distinguerai trois formes communes de
jalousie :
- Celle, très commune, qui est la jalousie
amoureuse ou sentimentale , la plus « répandue » qui fait que l’on oublie qu’il existe
d’autres formes insidieuses.
- Celle, plus diffuse, que je qualifierai de sociale, que nous vivons au
quotidien, à la fois victime ou agresseur.
- Celle, plus politique, structurelle, qui va s’appuyer sur la notion de
classes. J’ai pris le parti de l’intégrer dans cette approche, même si certains
ne l’auraient pas associée.
Quelques généralités :
Communément, nous pouvons dire que la
jalousie est essentiellement une émotion que nous pouvons qualifier de
secondaire, en ce sens qu’elle n’appartient pas directement à la même catégorie
que la peur, la colère, etc. Elle est presque plus élaborée ! Cette
émotion peut représenter des pensées et sentiments négatifs, essentiellement
d’anxiété, dus à la perte des repères personnels. Elle évoque surtout une peur
qui génère dans l’instant une insécurité insupportable.
Cette combinaison d’émotions va organiser
un cocktail extrêmement explosif combinant de façon souvent aléatoire la tristesse,
le dégout, la peur, et essentiellement la colère qui en est l’expression première.
La jalousie peut et doit être malheureusement,
globalement, associé à une forme de paranoïa, qui n’est pas aussi bégnine que
l’on voudrait bien le penser. Nous pouvons dire du paranoïaque, qu’il raisonne
juste mais sur des prémisses affectives fausses. Je vous mets au défi de
rivaliser avec un paranoïaque, son raisonnement extrêmement structuré et précis
l’emportera sur toute votre science dialectique. Pour des raisons simples il a
ressassé dans les moindres détails depuis, des jours, des mois le petit détail
auquel il va savoir donner du sens, excluant simplement ce que la raison va exprimer.
Son raisonnement sans faille n’en est pas un. C’est dans la réalité ce que nous
nommons un délire.
Digression à ce sujet.
Comment distinguer ce qui relève d’un trait
de caractère paranoïde, d’une névrose paranoïaque, d’une psychose paranoïaque ?
J’en reste sur le terrain de la psychanalyse qui différencie les trois, et
parle d’amplitude et de profondeur historique du symptôme. En effet, comment et
qui pourrait nier l’aspect génétique de la personnalité ? Il existe donc
des traits innés paranoïdes qui ne vont d’ailleurs pas développer de pathologie
observable, ceux-ci sont au quotidien : simplement une propension à la méfiance,
plutôt que par exemple à la confiance, mais n’obère en rien la vie quotidienne.
La « névrose paranoïaque » est
plus handicapante, car ces prémisses affectives fausses place le sujet dans une
écoute extrême, à la vérification de ce que son affect lui impose. C’est une
souffrance constante au quotidien, que le sport, entre autre, permet d’apaiser
par évacuation des surcharges d’adrénaline. Le sujet est conscient mais
dépendant de sa souffrance.
Quant à la psychose paranoïaque, elle est
totalement imprévisible, totalement inconsciente, d’une violence inouïe sur le
terrain fantasmatique. Le sujet à ce stade est dangereux pour lui même et pour
les autres, relève de l’urgence psychiatrique, assujetti qu’il est, à ce
toujours présupposé affectif qui le coupe de toute réalité.
Digression
tout simplement pour dire que la jalousie relève aussi de ces trois stades et
qu’elle peut malheureusement être gravissime. J’ai vu cela en consultation avec
une forme sévère qui a nécessité hospitalisation sous Haldol.
Nous pouvons distinguer trois parties en
jeu : un sujet, un objet, une angoisse. Selon McDougall (Pour laquelle un hommage
a été rendu sur notre site du CSDPA), « La jalousie est une émotion
complexe qui sous-entend l’existence du sentiment d’amour. Elle est suscitée de
façon exemplaire par le triangle œdipien et constitue une partie du complexe d’Œdipe. ».
Nous pouvons ainsi dire que le sujet (le jaloux)
convoitise le bonheur présupposé ou les possessions de l’objet (l’autre sur
lequel il a projeté sa paranoïa) C’est important à ce stade de la réflexion de
parler des possessions de l’objet car cela va rentrer dans mon développement
quant à la jalousie que j’ai qualifiée de sociale ou de politique.
1) La jalousie amoureuse.
La jalousie existe pratiquement dans tous
les couples. Il faudrait d’ailleurs définir ce qui peut autoriser la notion de couple,
mais c’est un autre sujet. Nous pouvons penser qu’elle est normale lorsqu’elle
est modérée, et là encore comment définir la modération ? Cela dépend de
la structure psychologique des uns et des autres, du mode éducatif, des valeurs
et de la morale des uns et des autres. Certains libertaires pouvant dire :
« Tu n’appartiens qu’à toi même et tu fais ce que tu veux de ton corps et
de tes sentiments ! » D’autres, pétris de religion notamment, vont
considérer que l’objet (le conjoint) ne peut être que la propriété physique,
sentimentale et parfois morale du sujet (le paranoïaque) certains allant même
jusqu’à dissimuler l’objet !
Vous l’avez compris il s’agit ici
d’appréciation mais où et comment poser le curseur qui fait que la confiance est en doute ?
La confiance, quel drôle de gros mot !
La confiance est à la base de toute relation. Nous pouvons considérer que le
couple est établi sur la notion de confiance, à priori. Cela veut dire que, par
défaut, c’est la valeur qui va animer la gestion de la relation sentimentale.
Malheureusement, la recherche ou l’analyse
de soi-disant preuves peuvent créer un nouveau sentiment : la méfiance. Et
c’est à partir de là que tout démarre ! C’est souvent à la base une
émotion vécue intensément, qui est souvent déplaisante, et souvent interprétée.
Je vous ramène au sujet sur « l’interprétation et la projection » en
réalité il ne s’agit pas d’interprétation mais de projection et c’est là que le
piège se forme ! La méfiance adopte de nombreuses formes : personnelle,
relationnelle, sociale et politique.
Quel est le processus d’élaboration ?
Au tout début un manque de confiance en soi. Une grande fragilité du Moi qui
fait que le sujet manquant d’assurance a besoin d’être, de se réassurer en permanence.
L’autre, l’objet fait partie de ce processus, et, sans le savoir, de manière insidieuse,
fait souvent parti de ce processus de réassurance.
Le jaloux, vous l’avez compris, est une
personne qui manque d’assurance et qui à travers le conjoint va rechercher en
permanence les ressources qui vont l’apaiser. Nous entrons dans le mécanisme de
la paranoïa, en cherchant de la réassurance nous entrons dans le mécanisme de
méfiance ou tout est observable inter/projeter.
Ainsi, le dépassement d’horaire, le
téléphone portable sur répondeur, le fameux cheveux blond sur la veste, l’odeur
d’un parfum qui vraisemblablement n’existe que dans la tête de celui qui le dit.
Tout est inter/projeté !
Quel malheur, le processus est
enclenché ! Et rien ne va pouvoir l’enrayer.
L’objet, en se justifiant de fautes non commises sera bien évidement hésitant
et maladroit dans sa communication, ce qui ne va faire que de renforcer le
doute du sujet, et ainsi de suite. À partir de ce moment, la vie devient insupportable,
pour la victime et le bourreau. Car ne nous fermons pas les yeux le jaloux est
un véritable bourreau tyrannique, harcelant en permanence sa victime qui ne
pourra jamais justifier la pseudo interprétation que fait le jaloux.
Ce n’est pas fini ! S’organise autour
de cela un scénario, un mode de communication qui va échapper aux deux. La
victime et le bourreau vont s’enfermer dans une dialectique qui va échapper à
toute raison.
C’est un piège dont on sort mais le parcours
est complexe. Les scénarios sont en place chacun sait, connaît la position, la partition.
Tout est observé, tout est observable, le conscient et l’inconscient sont
activés simultanément en permanence. Si le bourreau souhaite épargner sa victime,
lui faire parvenir des signes d’affection, il se met automatiquement dans des
jeux perçus ou non par lui « artificiels », la victime les recevant
en pleine réalité, et se demandant quelle est la réalité du message. La
communication est à ce stade dans un paroxysme de non efficacité, car chacun se
retrouve dans les fameux mécanismes de projections/interprétations que j’ai
évoqués précédemment.
Comment en sortir ? Quand je travaille
en conseil conjugal et donc avec un couple, je propose de changer de mode de communication.
En effet comme vous l’avez compris le jaloux/paranoïaque raisonne juste, mais
sur des prémisses affectives fausses, il est donc impératif de quitter ce mode
de communication verbal ; je préconise donc de choisir celui du corps. Un geste,
une caresse, l’expression par un geste de la qualité du message à faire passer.
2) La jalousie sociale.
Commençons par la plus commune, la plus répandue,
insidieuse et dévastatrice, la jalousie familiale.
Elle s’exprime à tous les nivaux, tous les échelons, elle est profondément dévastatrice.
C’est parfois à cause d’elle qu’ont lieu de nombreux drames familiaux. En effet
combien disent « -Ma mère, mon père ou- mes parents ont toujours préféré
ma sœur, -mon frère -». Combien ont entendu : « Papa, Maman,
t’ont toujours considéré plus que moi. » Qui n’a pas entendu, « Ta
tante a de la chance, elle a épousé un homme qui a fait carrière lui »,
sous entendu, pas comme ton père !
Vous imaginez combien ces situations
réelles ou présupposées vont peser sur la donne familiale. Comment les uns, les
autres à partir de ces éléments vont consciemment ou non organiser leur relationnel.
Cela peut être malheureusement source de drames, qui parfois ont alimenté les
chroniques de nos journaux télévisés.
Comment s’en sortir ? Pratiquant depuis de nombreuses années des
thérapies familiales, je dois confesser que les problèmes de communications représentent
80% des problématiques.
C’est parfois extrêmement alambiqué, non pas
de comprendre, de pointer, mais de faire admettre déjà cette photographie. Les
chemins ensuite pour la résolution et un réel apaisement existent heureusement
mais sont parfois complexes et douloureux .
Mais les solutions existent, il suffit que
dans le cadre d’une démarche familiale, que les motivations soient suffisantes,
et bien établies entre tous les membres, pour que le protocole de travail s’organise.
L’autre jalousie sociale.
Malheureusement, elle aussi est confuse, diffuse,
plus complexe que la précédente. Elle relève de la cours d’école, que nous
fréquentons en tant que parent, du boulanger, des commerçants de notre quartier,
et puis aussi surtout, pour ceux qui ont la chance d’avoir un emploi, dans nos
rapports professionnels.
Avant
de ventiler, quelques précisions.
Cette jalousie à priori ne s’apparente pas
à la jalousie sentimentale, quoique !
Elle est plus organisée sur le rapport objectal.
À savoir ce que moi « sujet » est pour l’autre qui me considère comme
un « objet » dans ce cadre « malheureusement » de convoitise.
Dans ce contexte, la convoitise relève de
deux natures différentes, l’une d’identité, l’autre des biens qui sont en ma possession.
Cela
ce manifeste par quoi ?
La
cour de récré (certains vont croire que j’en fais une fixation … Simplement
pour rappeler que c’est un lieu de construction tant pour les enfants que les parents),
c’est là où toute la société du quartier, en capacité d’enfanter se retrouve. Choix
de l’école publique ou privée sont déjà des déterminants qui classent. Pour
ceux qui ont eu la chance de fréquenter ces lieux, nous nous rappelons par
exemple des commentaires faits, ou que nous même prodiguons sur ces chères
petites têtes. Combien d’entre nous n’ont pas entendu : « Ma fille
n’a pas besoin de travailler ça rentre tout seul », « T’as vu il est
mal habillé », « Ce n’est pas le dernier de la classe ? ».
À cette institutrice qui vous scanne des pieds à la tête, observant que vous
sortez d’un brushing coiffeur, que vous avez un nouveau tailleur que votre fils
a encore de nouveaux vêtements. Pensez-vous qu’il s’agisse de jalousie …
pourquoi en regardant des notes qui ne sont méritées, vous ne comprenez vous
pas que cette institutrice est jalouse de vous, ce que vous êtes de êtes, et
que votre enfant aura beau faire cela sera comme elle le veut ? (L’institutrice)
Cette jalousie sociale est dévastatrice,
elle peut passer par des compliments même pas excessifs qui vont masquer la
haine de ne pas être, de ne pas avoir. Elle peut amener à des scenarios d’alliance,
de conspiration que nous sujet, à priori ne repérons pas. Rappelons le, la
jalousie est une pathologie, et nous ne sommes pas forcément entrainé à en
percevoir les rouages, naïfs que nous sommes, de la confiance que nous mettons
en l’autre et que nous pensons réciproque !
Sur le plan de la cours d’école, il faut
avoir beaucoup de vigilance (sans paranoïa) pour savoir évaluer l’environnement,
les alliances réellement objectives ou de circonstance. Cela veut dire
développer un sens de l’adaptation suffisant pour accompagner nos enfants, afin
que si cela se présentait (une anormalité comportementale qui semble relever de
la jalousie), n’en soit pas les victimes.
Sur le plan professionnel, la même attitude
de vigilance prévaut. Des collègues, qu’ils soient collaborateurs, supérieurs hiérarchiques,
peuvent projeter sur vous de nombreuses illusions. Je pense à cette femme seule,
qui a su élever « dignement » ses enfants, progresser à titre personnel,
imposer un respect naturel dans sa manière d’être, sa façon de vivre. Eh bien
je sais que celle là si en plus son esthétisme est présent, elle va déranger. Si
le travail personnel a été suffisant cela ne lui posera aucune gêne, sinon
attention !
Sur un plan social plus large, le fait
d’être simplement un couple, une famille unie peut déranger. Je ne parle même
pas des biens matériels qui peuvent dénoter dans la communauté à laquelle sans
le savoir j’appartiens, mais cela est le dernier chapitre que je vais développer.
L’extension de ma maison par une véranda, le fait que j’aille régulièrement au
salon de beauté, ou au club de sport, mon nouveau costume de belle facture, etc.
Autant d’objets de convoitise par rapport auxquels, il faut que je sois
vigilant !
La jalousie politique
Je sais que c’est une approche qui n’est
pas commune, et qui pourra vraisemblablement surprendre certains, mais c’est le
développement naturel du chapitre précédent.
Nous y avons vu qu’en fonction, de notre rang,
la société nous organise par caste. Il y a des milieux sociologiques auxquels
nous appartenons de gré ou de force, pour ne prendre que cette simple
réflexion : « Ce sont des parvenus », je pense que tout le monde
sait l’avoir entendu, et ce quelque soit notre milieu d’origine.
L’excellent film, « Les enfants du
marais » en est l’illustration. Cricri n’aurait jamais pu rencontrer
« son futur mari ». Jean Becker nous montre bien combien et comment les
classes cohabitent et ne se mélangent pas. Même Jo (incarné à la perfection par
Éric Cantonna) n’arrive à assumer sa future position sociale.
Ce film illustre bien la notion de classes sociales.
Combien sommes-nous fiers, ou non, d’appartenir à une catégorie sociale. « Mon
Père est docker », « il est notaire », « il est commerçant »,
« ma Mère est médecin ! »
Nous sommes donc construits et structurés
dans par et avec cela. Cet objet social dans lequel nous évoluons nous échappe,
nous lui appartenons sans le savoir, quoique ! Certains le maitrisent et
le cultivent, et le font savoir. Je ne suis pas golfeur, mais combien
m’expliquent que cela montre leur réussite sociale et combien me disent : « Le
golf, c’est devenu maintenant comme le tennis, il y a de plus de
parvenus ! »
Comment
se manifeste cette jalousie sociale ?
« Jean, ne sort pas avec Etienne,
c’est le fils du notaire
-Mais Maman, c’est mon ami en classe !
-0ui mais ne vas pas chez lui, ne l’invite
jamais à la maison, nous ne sommes pas du même monde. »
Je n’avais jamais imaginé que nos
appartenances nous empêcheraient de partager des moments simples. Aussi,
comment imaginer qu’Etienne est jaloux de moi ? Du fait que mes parents
m’autorisent à faire du vélo avec mes copains du quartier, que je peux aller
dormir chez mes amis, que nous partions en vacances sous la toile en famille et
en camping ! Je l’ai su bien plus
tard lorsqu’au cours de nos études supérieures dans un tonus nous avons pu
échanger de cela.
Alain fils d’ouvrier, son père est chef d’équipe,
toute la famille est fière de ce parcours, mais revendique son appartenance à
la classe ouvrière. Émile Zola a su
mettre en exergue cette noblesse de la classe ouvrière.
Doit
on être jaloux des classes sociales « supérieures » ?
J’ai toujours considéré notre vie humaine
assujettie au principe de l’entropie, ce qui revient à dire que nos enfants
sont, par cette force vitale, amenés à nous dépasser. Cela s’appelle la
transmission. Nous sommes ici, dans nos vies, comme toutes les espèces y
compris végétales pour transmettre à nos descendants tous ce que nous avons appris,
et ainsi faire que nos enfants puissent nous dépasser.
Ainsi la république permet à des enfants
d’ouvriers d’accéder à de hautes fonctions et permet aussi aux fils et filles
de classes « hautement supérieures » de choisir un destin qui
n’est pas forcément celui qui était écrit.
Est-ce que l’enfant d’ouvrier qui devient
ingénieur obéissait à la jalousie sociale de ses parents ? À vous de dire.
Pourquoi ai-je dissocié dés le début de mon exposé la
jalousie de l’envie ?
La réponse s’articule autour de deux
axes :
Jalousie
et jaloux est ce la même chose ?
Envie
et envieux est la même chose ?
Est-ce
que le nom et son qualificatif représentent la même signification ?
Bien
sur que non ! Et puis la notion de pulsion de vie et mort surtout. Quand
un dépressif dit : « J’ai envie », nous savons qu’il est
« sauvé ». Cela veut dire que l’envieux est dans la pulsion de mort,
alors que l’envie relève de la pulsion de vie. Cela montre aussi les limites de
nos modèles théoriques.
« Il y a deux choses auxquelles il faut se faire
sous peine de trouver la vie insupportable : ce sont les injures du temps et
les injustices des hommes. »
Chamfort