mercredi 7 mars 2012

Faut-il mentir ?


Quel drôle de sujet !


Est-ce l’approche des prochaines élections présidentielles à force d’écouter tant et tant de promesses ?

Est-ce le fait de relire en ce moment Clélie, histoire  romaine, de Madeleine de Scudéry? C’est un exemple de ce que la littérature nomme un roman précieux ; genre dans lequel domine le sentiment qui sera analysé notamment à travers son discours. C’est ainsi que le mensonge apparaît comme un sujet récurent et sociétal.

Globalement, de cela que retenir ? Que les salons littéraires  parlent en permanence du mensonge. Dans une société fausse, l’idée que le mensonge est indispensable pourrait en être la synthèse .

Et puis cela nous renvoie à nos chers cours de philosophie.

Déjà les Grecs, Aristote le premier, développait à son sujet de nombreuses théories auprès de ses élèves.

J’ai la grande chance de ne pas plancher sur ces fameux sujets du baccalauréat, et d’être autonome sur ce blog, aussi, je vais m’autoriser, les chemins de traverse.

J’ai disserté sur le mensonge dans un article précédent : « La vie un théâtre » pratiquement sur les vertus de la sincérité, accusant le menteur de félonie. Alors comment oser s’aventurer sur le chemin de « parfois le mensonge est indispensable ?

Revenons à Madeleine de Scudéry, qui, dans ses salons animait les discussions autour de faits sociétaux et qui pour résumer considérait que la société était par définition fausse. Nous pouvons préciser que faite de consensus, d’arrangements, la vérité au sens de la pureté de l’intention, ne pouvait pas être. Dans ce cadre comment être sans avoir recours au mensonge ?

A ce stade de développement, je ne veux pas qu’il y ait de méprise , je ne prône surtout pas l’obligation ni  la nécessité de recourir au mensonge, mais insiste, bien que parfois ce soit l’adaptation obligatoire pour maintenir en homéostasie le système social dans lequel je suis.

Certains utilisent des adages tels que « faut me prendre comme je suis ? », « je ne fais jamais de concession », « c’est à prendre ou à laisser », oui, oui , nous savons où cela mène!

Voyons quelques situations dans lesquelles nous sommes confrontés à l’impossibilité d’éviter le mensonge :

Martine, l’épouse de votre employeur a mis les petits plats dans les grands pour bien vous recevoir, et comme tout le monde le sait, sa réputation de piètre cuisinière est pleinement justifiée. Aussi quand elle vous dit « Mon petit Marcel, vous reprendrez bien de la panse de brebis farcie ? » Comment ne pas dire « Volontiers, elle est d’ailleurs excellente ! » Vous auriez à minima pu dire : « Elle est excellente mais je n’en peux plus ! » Alors le mensonge permettrait ici de ne pas vexer, de ne pas blesser. Dire votre plat est immangeable paraît compromettant pour le reste votre carrière.

Toujours pour en rester sur de l’alimentaire, Patrick, à chaque fois qu’il est invité chez ses amis s’efforce de trouver pour le dessert le plus bel ananas afin de leur faire plaisir, et chacun se régale dans ce moment tant attendu. En fait personne n’aime l’ananas !

Joëlle, la sœur de votre meilleur ami, est atteinte d’une sale maladie. Vous la voyez blafarde, les yeux cernés, vous remarquez qu’il leur manque la petite flamme qui restait encore  et pourquoi lui dites vous « Joëlle je te trouve en forme , tu récupères bien dis donc ! »

Le Papa d’Antoine qui est en passe de quitter le domicile familial lui dit « Tu sais mon bonhomme ça ne va rien changer, cela sera même mieux qu’auparavant : non seulement nous nous verrons , mais cela sera bien. » Et Antoine y croit.

« Chéri, elle est bien ma nouvelle coiffure ? », « Tu ne trouves pas que c’est mieux avec ma moustache ? » « Tu as vu combien ma mère était gentille avec toi ? »

El le boucher : « Alors mon rôti comment il était ? » « De la vrai soie ! » ; alors que c’était une savate, mais  ce commerçant me sert rapidement quand il y a foule dans son commerce.

S’il n’y avait pas de mensonge où en serions nous ?

Pouvons-nous vivre simplement dans le cadre d’une vérité pure ?

J’ai pris ici quelques exemples faciles et « grossiers » qui nous sont à tous plus ou moins communs. Rappelons-nous de notre dernier mensonge. C’est vraisemblablement il y a quelques heures : à votre voisin sur le palier que vous ne supportez pas, à votre conjoint qui vous « harcèle » de questions, à votre professeur qui dit « C’est toi Jean qui à écrit cela ? » (Sachant tous les deux que c’est votre Maman). À l’agent verbalisateur : « Mais je vous assure le feu était à peine orange ! » À l’inspecteur des impôts auquel vous dites « Je l’ai dissimule  à mon insu » . Le Papa qui à la question de sa petite fille dit « Mais oui Chérie ton dessin est magnifique, alors qu’il n’en pense pas une once ! »

Alors cela voudrait dire que le mensonge est un rouage composant  indispensable à la vie sociale ! Que  la vérité n’est pas bonne à dire ?

Eh bien non la vérité n’est pas toujours bonne à entendre, pas forcément à dire. C’est parfois facile à se débarrasser, à dire comme cela à la débotté, « une vérité ».

Dans les réunions familiales combien, souvent sous prétextes de déjeuners bien arrosés disent à père, mère, oncle, etc. ce qu’ils ont sur le cœur depuis des années au risque de provoquer une rupture d’anévrisme.

Je suis contre l’adage que toute vérité est bonne à dire. Surtout en tant que praticien où sur le divan j’ai été amené à entendre à découvrir avant l’analysant une information, parfois gravissime dont il, elle , n’avait pas conscience.

Quant à ne pas dire ! Le fameux mensonge par « omission » par lâcheté, par insuffisance, par faiblesse !

Je me souviens de ce jour où un homme qui venait pour un syndrome dépressif me livre sur le divan que sa sœur était en réalité sa mère! Le matériau était là avec ses réalités historiques, de lieu et de date. J’ai tenté un retour sur le champ, sans accroche, puis plus tard en laissant un espace temps que je pensais suffisant. Et bien non, ce qu’il venait de me livrer, il ne pouvait l’entendre. Cela veut dire qu’au niveau psychanalytique, l’inconscient s’était libéré de cette charge à l’autre que je suis, mais que le conscient n’était pas en capacité d’entendre.

Et puis moi qui prône l’éthique, la transparence, alors que j’insiste auprès des  analystes en formation de ne pas utiliser l’injonction, suggestion, ou le conseil, car notre rôle est d’amener l’analysant à une autonomie dans ses choix. Il est arrivé à une analysante, appelons la Madame Lambert, qui venait de déposer sur le divan qu’elle trompait régulièrement son mari, aller dès la séance finie l’informer de cela. Comme tout Psy lambda, totalement à l’écoute de ce que nous livre nos analysants, j’avais entendu que le mari ne pouvait recevoir l’information. D’une confiance aveugle, absolue, dans ce qu’il projetait dans son couple, dans l’idéal de ce qu’il projetait sur son épouse... ; Eh bien cette vérité ne pouvait être supportable. L’analyse terminée, Madame Lambert, je l’ai revue car sa fille avait quelques difficultés scolaires. Je l’ai donc accompagnée, et elle me dit « Heureusement que vous m’avez freinée, j’ai testé après notre séance la réaction de mon mari, en parlant d’une amie qui avait trompé son mari qui avait lui aussi toute confiance en elle, il m’a dit tu « sais pour moi cela ne saurait exister », il n’y a que la mort qui apaise. »

Il n’y a pas besoin d’être Psy pour savoir sentir ce qui relève de la parole.

Je pense que toute vérité est bonne à dire … Quoi que ! Parfois, il faut trouver le moment, le ton, le style, l’ambiance pour trouver avec la pédagogie indispensable l’angle d’expression. La majorité n’aime pas entendre une vérité   parfois blessante. Les mensonges sous cette approche sont souvent salutaires.

Je ne traite pas ici des mensonges malveillants qui relèvent de la veulerie, et qui participent à ce qui appartient au délictuel et qui sera traité par la justice. Les supercheries, les arnaques, les plans sur la comète pour ruser, abuser de notre crédulité.

Alors y a-t-il une hiérarchie des mensonges ?

Bien sur que oui !

Le mensonge de confort.

Le mensonge délictuel.

        Celui qui protège l’autre dans sa faiblesse, ceux qu’on aime et qui ne peuvent entendre. L’autre veule, méchant qui a pour intention de nuire et doit être condamné.

Et puis il y a le mensonge obligatoire. Le mensonge citoyen, civique, celui qui à l’approche de la torture, de l’obscurantisme d’un juge pervers, va préserver un innocent d’un interrogatoire, d’un emprisonnement. Mentir, c’est donc dans cette certaines situations protéger l’autre, le respecter. Le mensonge, pour être efficace doit être porté par toute l’intelligence que nous allons déployer, afin de rentrer dans le Moi intime de l’autre pour le préserver tout en le respectant.

Le psychotique, le pervers, l’hystérique, le schizophrène, pour des raisons qui peuvent même être opposées, sont dans une utilisation d’un mensonge fallacieux qui lui rentre dans le registre des perversions.


Alors vous me direz : La vérité sort de la bouche des enfants ! Et bien oui, mais les pauvres ils le payent cher ; « Maman t’es grosse dans ta robe » , « Papa a bu un verre de vin dans la cave », etc. Les enfants apprennent donc la vie dans l’adaptation. S’adapter c’est savoir la différence de l’autre qui peut être dissemblable, parler autrement, penser, voter autrement . M’adapter c’est donc complétement composer en permanence. Le mensonge «  le petit » dont je parle peut en faire partie. 

Mon ami Pascal me dit que son chien qui a fait des bêtises se cache quand il rentre à la maison et qu’il constate qu’une sottise a été commise. Pour ma part mes chats qui s’autorisent quelques légèretés n’échappent pas à cette règle. Violette, charmante petite Siamoise, sait bien, lorsque je l’interroge sur le vase cassé, détourner élégamment son regard, pour ensuite aller vaquer.

« La vraie Morale se moque de la morale.» Pascal